Alban Placines : « Gagner un titre c’est bien, mais pouvoir le partager c’est encore mieux »

interview Alban Placines par Louis Nadal et Félix Casail

Ce mercredi 13 décembre 2023, Rugbynfo s’est déplacé à Ernest-Wallon pour interviewer l’un des piliers de l’effectif toulousain, le troisième ligne Alban Placines. Dans un échange d’environ une demi-heure, Alban Placines est revenu sur son parcours passionnant de rugbyman professionnel. Venez à sa rencontre à travers cette interview.

interview Alban Placines par Louis Nadal et Félix Casail
Alban Placines, Louis Nadal (Rugbynfo), Félix Casail (Rugbynfo) devant le bouclier de Brennus

Louis Nadal: Tu es issu d’une famille de rugbymen, tes deux parents y ont joué. Ça a été une évidence de commencer dès le plus jeune âge ce sport pour toi ? C’est une passion depuis tout petit ?

Alban Placines : Oui, mon père a joué pendant toutes ses études de médecine, il a également joué en catégorie vétéran jusqu’à plus de 45 ans. À Biarritz, mes deux parents ont créé une section féminine où mon père était entraîneur et ma mère joueuse et capitaine. C’était l’époque du début du rugby féminin, il y avait encore peu d’équipes, c’était assez compliqué, mais ils avaient créé ça. 

J’ai commencé le rugby à 4 ans, ma sœur et mon petit frère ont aussi fait du rugby, donc tout le monde a baigné dedans dès l’enfance. À propos, j’ai une anecdote rigolote, même notre chien à l’époque s’appelait Ovalie (rires). Cela montre bien que le rugby était une passion depuis tout petit même si on a pratiqué d’autres sports, comme l’athlétisme et le judo. Mais le rugby était le fil rouge de la famille.

L. N : Tu es né à Biarritz mais tu n’as pas commencé le rugby dans le Pays Basque, peux-tu revenir sur tes débuts dans le rugby ?

A. P : Effectivement, je suis né à Biarritz, mais j’ai commencé le rugby très jeune, dans le Béarn au club de Coarraze Nay. Par la suite, je suis parti du côté de Pau, à la Section Paloise. Puis je suis rentré en pôle espoir au lycée à Bayonne, et après cela je suis resté sur la côte basque et je suis parti jouer à Biarritz.

Félix Casail : Peux-tu nous raconter le souvenir que tu gardes de ton passage au centre de formation à Biarritz ?

A. P : C’était un superbe souvenir pour moi, j’avais ma sphère familiale qui était sur Biarritz. Cela m’a permis de faire des études d’ostéopathie en parallèle, à l’époque où j’étais au centre de formation. En plus, le cadre de vie à Biarritz était très sympathique. C’est un cadre que j’ai toujours utilisé pour m’entraîner, j’allais beaucoup courir sur le sable, récupérer souvent dans l’océan même en hiver. J’utilisais donc les éléments naturels pour faire de la préparation ou de la récupération sur place.

L. N : Comment as-tu réussi à concilier études et sport de haut niveau ?

A.P : C’était une période compliquée à gérer, car pendant la période scolaire il y avait la préparation physique et pendant les vacances qui m’étaient accordées avec le rugby je devais aller en cours. Je n’ai donc pas eu de vacances pendant 4 ans. 

Le plus dur c’était pendant les périodes hors vacances, où il fallait concilier les études et le rugby. J’avais cours de 8h à 17h mais je partais avant la fin pour aller à l’entraînement que je finissais à 21h30. En rentrant je rattrapais le cours que j’avais manqué, je travaillais puis je recommençais le même schéma le lendemain. Cette période correspond à celle où je me suis blessé au genou avec l’Équipe de France U20, ce qui n’est peut-être pas anodin. C’était très intense sur 4 ans. Cependant, j’avais cette volonté de mélanger études et rugby car on n’est jamais à l’abri qu’il n’y ait plus de club qui veuille de nous et que l’on se retrouve à devoir trouver un point de chute très tôt. 

L. N : A quel moment tu as senti que tu pouvais passer le cap pour jouer avec les « grands » ?

A. P : Cela a été assez particulier, parce que je m’entrainais avec l’équipe première depuis assez jeune, sauf que l’année où j’ai commencé à jouer avec les professionnels, c’est aussi la dernière année de mon club en Top 14 avant de descendre en Pro D2. Donc, je fais mes premiers matchs avec Biarritz en Top 14. C’est assez drôle, pour l’anecdote, mon premier match était à Toulouse, la boucle est donc bouclée en quelque sorte. 

Cette période était assez compliquée car nous étions en Top 14 et nous sommes relégués au terme de la saison. Finalement, je me suis dit “tant pis je reste sur Biarritz”. Cela m’a permis de faire mes armes en Pro D2 pendant 4 ans. Sur les deux dernières années, j’avais la volonté de voir ailleurs, en grandissant j’avais envie d’avoir une autre expérience dans un club différent. C’est pour cela qu’en 2018 j’ai signé au Stade Toulousain.

F. C : Il est aussi important de noter dans ton parcours que tu es passé par la case U20 en disputant le tournoi des 6 Nations 2012 et le championnat du monde en 2013, qui était d’ailleurs organisé en France. Comment ces expériences t’ont permis d’évoluer en tant que jeune joueur en construction ?

A.P : En effet, j’étais surclassé en moins de 20 ans, en 2012 où j’ai fait le tournoi des 6 Nations. Cependant je me suis blessé aux ligaments croisés sur un match contre les Anglais à Vannes. S’en est suivi un an et demi sans jouer, c’était assez compliqué pour moi. Je reviens pour cette Coupe du Monde 2013 où je n’avais pas rejoué depuis le tournoi d’avant. Ça a été une Coupe du Monde difficile pour moi car revenant d’une grave blessure je n’avais pas vraiment le rythme et la confiance.

F. C : Justement, étant encore un jeune joueur, connaître la blessure assez tôt t’a-t-il aidé dans ta construction autant physique que mentale ?  

A.P : Exactement, ça m’a aidé à me construire, car tout joueur passe par la case blessure durant sa carrière. Même si le timing n’était pas bon car c’était pendant la période U20, j’aurais aimé jouer un peu plus avec les moins de 20 ans et être plus performant sur la Coupe du Monde. Mais ça m’a aidé car tout le travail de prévention quand on est passé par une blessure n’est plus le même, on sait qu’il est important de prévenir avant d’arriver à la blessure. C’est quelque chose que je fais tout le temps désormais, par exemple lors des jours off pour travailler un peu et faire les choses que l’on n’a pas le temps de faire pendant les entraînements.

L. N: Tu as joué 4 saisons en Pro D2 avec le BO avant d’arriver à Toulouse, comment as-tu vécu la transition Pro D2 – Top 14 ? 

A.P : Le changement était assez compliqué, car beaucoup de choses ont été modifiées. A Biarritz on s’entraînait sans GPS (pour mesurer l’activité physique), alors qu’au Stade il y avait ces GPS. L’intensité des entraînements a changé ainsi que l’intensité des matchs évidemment. J’ai eu un moment d’adaptation de plusieurs mois pour que mon corps s’habitue à ces intensités. Mais au fur et à mesure, le corps s’habitue et aujourd’hui cette intensité est bien assimilée. 

F. C : Tu as côtoyé en club de grands joueurs internationaux à tes débuts à Biarritz comme Imanol Harinordoquy, Dimitri Yachvili, Damien Traille et ici des joueurs de la trempe de Dupont, Ntamack, Baille, … qui ont porté l’EDF jusqu’à cette CDM. On a souvent loué leur sang-froid, leur maturité et cette fameuse résistance à toute épreuve. Est-ce que tu trouves que la mentalité de compétiteur a évolué d’une génération à une autre ? 

A.P : Oui c’est sûr, même si c’était des générations différentes, je n’avais pas le même statut vis-à-vis d’eux, quand j’étais à Biarritz j’étais le jeune de 18-19 ans. D’ailleurs, je me souviens d’un moment où l’on faisait une mise en place la veille d’un match. Dimitri Yachvili me demande mon âge et se rend compte que l’on a13 ans d’écart, ce qu’il a trouvé énorme. C’était donc des joueurs que l’on idolâtrait un peu tous à ce moment-là car ils ont réalisé des carrières incroyables. C’était génial de pouvoir m’entraîner avec eux et de toucher ce niveau-là. Cela permet de prendre de la maturité assez vite.

Maintenant à Toulouse, nous sommes un peu tous issus de la même génération même si Antoine Dupont et Romain Ntamack sont un peu plus jeunes. C’est donc différent dans l’approche. C’est sûr qu’il y a quelque chose en plus sur le fait d’être vraiment hermétique à la pression. De plus, une sorte de sérénité se dégage du Stade Toulousain et cela permet de rassurer tout le monde lors des matchs notamment.

F. C : Qu’est-ce que tu as appris et apprends encore de ces joueurs-là et qu’est-ce qu’ils apportent au groupe ?

A.P : Ils apportent énormément sur le niveau des entraînements, sur leur intensité et leur efficacité. Et quand on fait du rugby un peu comme n’importe quel métier, on apprend tout le temps. D’autant plus que tout est tout le temps remis en question les week-ends. Quand on n’apprend pas, il faut maintenir certains aspects du jeu comme le plaquage, la passe, … On n’arrive pas un jour en se disant “je n’ai plus besoin de travailler”. C’est un travail constant et c’est ça qui est très intéressant. A 35 ans, on apprend toujours du rugby, de son évolution et donc des adaptations à suivre.

L. N: Tu es au club depuis 2018, te considères-tu comme un cadre du groupe ?

A.P : Être un cadre ou un leader est quelque chose d’assez général. Ce qui est sûr, c’est qu’on essaye tous d’apporter notre pierre à l’édifice, apporter quelque chose à l’effectif. Ça peut se traduire de manière explicite en faisant des discours ou plutôt de manière implicite en étant rigoureux et sérieux dans le but de tirer tout le monde vers le haut. Il y a plusieurs manières d’être leader et je pense que ce qui fait la force du Stade, c’est qu’il n’y a pas seulement un joueur qui porte l’équipe. C’est chaque joueur qui a des choses à apporter aux autres.

L. N : Tu as été capitaine à plusieurs reprises pendant ta carrière au Biarritz Olympique et au Stade Toulousain, qu’est-ce que ce rôle t’a apporté personnellement ?

A.P : C’était à deux moments différents. A Biarritz j’étais un jeune capitaine, dans un univers instable. C’était un rôle que j’ai eu tout au long de la saison qui s’est avéré compliqué au vu du contexte sportif de l’époque. Cependant, cela m’a apporté beaucoup d’expérience. C’était une superbe première expérience qui m’a fait beaucoup grandir. 

Puis au Stade Toulousain j’ai eu l’occasion d’endosser quelques fois ce rôle de capitaine, dans un univers différent, avec des joueurs différents. Ici, il y a moins besoin d’amener de la motivation ou d’appuyer sur certains points, car tout le monde le fait de son côté avec plus de maturité. C’était donc deux approches différentes mais deux approches trés intéressantes et enrichissantes du capitanat. 

L. N : C’est un rôle que tu apprécies ?   

Oui, c’est un rôle que j’aime bien même si je ne l’ai pas tout le temps et plutôt de manière ponctuelle. Je suis content quand cela m’arrive. 

F. C : En effet, nous étions tombés sur une vidéo de toi quand tu étais capitaine au BO, motivant tes coéquipiers avant un derby basque, peux-tu y donner un peu de contexte ?

A.P : Oui, suite à cette vidéo de nombreuses personnes ne comprenaient pas le contexte, car c’est le seul extrait qui est sorti et qui a fait un peu de bruit. Le cadre n’avait pas forcément été défini. Nous étions dans une période compliquée de la saison avant ce match face à Bayonne. On connaît tous les enjeux de ce derby, et avant le match notre échauffement est mauvais. De plus, à ce moment-là il tombe des trombes d’eau à Biarritz, le terrain est boueux ce qui nous fait échapper de nombreux ballons lors de cet échauffement. C’est pour cela qu’il fallait que je prenne la parole en tant que capitaine pour monter, pour switcher sur une motivation plus émotionnelle car je sentais mes coéquipiers dispersés. Ce qui est bien c’est qu’à la fin nous gagnons contre Bayonne à la maison, ce qui est toujours particulier en tant que Biarrot. 

F. C : Te retrouves-tu dans un rôle de “mentor” dans cette équipe pour encadrer la jeune garde à ton poste (Théo Ntamack, Mathis Castro-Ferreira…) ? 

A.P : Il y a quelque chose de très bien au Stade Toulousain c’est que malgré la concurrence, elle reste saine et positive. Avec François Cros, Jack Willis, Anthony Jelonch on fait beaucoup de travail de placage, de grattage à côté. Donc les plus jeunes viennent s’intégrer à ce genre d’exercice. Ce n’est pas vraiment un rôle de mentor, c’est plutôt une manière de leur proposer ce que l’on fait et c’est à eux de déterminer s’ils sont sensibles à cela et s’ils veulent le faire avec nous. Mais s’ils veulent nous poser des questions sur le poste ou sur différentes situations, on peut évidemment en discuter comme moi je pourrais le faire aussi. 

Par conséquent je dirais qu’il y a un rôle de transmission entre les générations. Les jeunes d’aujourd’hui feront la même chose avec les jeunes à leur poste quand ils seront plus âgés. C’est un plus qu’il y a au Stade Toulousain et je pense que c’est ce qui permet au club d’en être là où il en est aujourd’hui.  

F. C : Est-ce que tu as commencé à préparer ton après-carrière, éventuellement avec l’envie de couper avec le rugby, ou à l’inverse, poursuivre avec un rôle au sein d’un staff par exemple ?

A.P : Pour l’instant, je ne sais pas trop. C’est toujours un peu compliqué car depuis que l’on est au centre de formation on nous sensibilise au fait de préparer son après carrière car cela peut s’arrêter à tout moment. Tant qu’on n’y est pas, ce n’est pas facile de faire les choses de manière concrète. Je suis encore en forme, donc je réfléchis à différentes options, j’ai quelques pistes, mais pour l’instant rien de concret car je ne sais pas quand je terminerai ma carrière. Je n’ai pas encore d’idées. Je ne sais pas si j’aurai envie de rester dans le monde du rugby ou de couper totalement et de venir voir les matchs en tant que spectateur. 

Questions courtes pour terminer l’interview :

L. N : Quelle est l’émotion la plus forte de ta carrière ?

A.P : Je pense que c’est le Brennus de l’année dernière car je venais d’être papa. De plus, mon fils et ma compagne étaient dans les tribunes au Stade de France. Je joue cette finale. C’était génial à la fin du match de pouvoir vivre ce moment là avec la famille, avec le scénario du match, …Toutes les planètes étaient alignées, qu’elles soient personnelles ou sur le plan sportif. En bref, gagner un titre c’est bien mais pouvoir le partager c’est encore mieux notamment avec la famille, les amis de l’équipe et tous les supporters derrière.

F. C : Inversement quel est le moment le plus compliqué de ta carrière ?

A.P : La blessure que l’on a évoquée était compliquée car j’étais un jeune joueur. Mais je pense que le moment le plus difficile c’était à Biarritz, lors de l’intersaison où il y avait un projet de fusion avec Bayonne (2015, ndlr), on ne savait même pas si le club allait nous garder ni où on s’entraînerait. C’était tellement flou que c’était très difficile à gérer pour tout le monde.

F.C : Pour finir qu’est-ce que l’on peut te souhaiter pour la suite de la saison et de ta carrière ?

A. P : Pour la suite de la saison que l’on aille le plus loin possible en Champions Cup et en Top 14. Et pour la suite de ma carrière, d’être heureux et de prendre du plaisir, car s’il y a ces éléments là c’est l’essentiel. 


L.N/ F. C :Merci Alban d’avoir répondu à nos questions !